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Les cathédrales sous l’œil du scanner

Vue numérique en transparence de la cathédrale d’Amiens révélant la structure gothique et la lumière des verrières, issue du projet e-cathédrale (Université de Picardie Jules Verne).

Comment la numérisation 3D transforme notre regard sur l’architecture gothique


Grâce à la numérisation 3D, les cathédrales françaises livrent aujourd’hui des informations invisibles à l’œil nu. D’Amiens à Notre-Dame de Paris, ces technologies redessinent la connaissance du patrimoine et révèlent une architecture plus fragile, plus mouvante — et plus humaine — qu’on ne l’imaginait.

Des monuments moins immuables qu’il n’y paraît

Elles incarnent la permanence, la verticalité, le temps long. Pourtant, les cathédrales gothiques sont loin d’être figées. Depuis une quinzaine d’années, la numérisation 3D du patrimoine a profondément renouvelé la manière de les observer. Scanner laser et photogrammétrie permettent aujourd’hui de mesurer ces édifices avec une précision millimétrique, révélant leur réalité structurelle : poussées, déformations, déséquilibres progressifs.

El Mustapha Maouaddib, conférence à la Maison de l’Architecture des Hautes-de-France – Pauline Creusat

C’est de ce constat qu’est né le programme e-cathédrale, porté par le professeur El Mustapha Maouaddib, enseignant-chercheur à l’Université de Picardie Jules Verne, au sein du laboratoire MIS (Modélisation, Information et Systèmes). Lancé en 2010, ce projet de recherche au long cours a conduit à la numérisation complète de plusieurs grandes cathédrales françaises et étrangères.

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Voir ce que le visiteur ne peut pas voir

Contrairement aux reconstitutions virtuelles, la numérisation 3D repose sur la mesure exacte du réel. Le monument est capté sous la forme de milliards de points, constituant un double numérique fidèle à l’état de l’édifice à un instant donné. Façades, intérieurs, combles, escaliers dissimulés dans la maçonnerie, charpentes inaccessibles : tout est enregistré.

Cathédrale d’Amiens – déformation des piliers

Ces données révèlent des phénomènes invisibles lors de la visite. À Amiens, certains piliers présentent des écarts de plusieurs dizaines de centimètres par rapport à la verticale. Rien d’exceptionnel pour une cathédrale gothique, mais une information essentielle pour comprendre son comportement structurel et son histoire constructive.

Quand la géométrie devient un récit historique

L’apport de la 3D dépasse largement la conservation. Les modèles numériques produits dans le cadre d’e-cathédrale permettent de vérifier scientifiquement des hypothèses débattues depuis longtemps par les historiens de l’architecture : tracés régulateurs, proportions, unités de mesure médiévales.

La cathédrale d’Amiens se distingue par une régularité géométrique remarquable, signe d’un projet directeur rigoureusement appliqué. À Notre-Dame de Paris, en revanche, les variations de dimensions et les légers désaxements racontent un chantier plus long, fragmenté, soumis à des contraintes urbaines et politiques. La donnée numérique ne fige pas l’histoire : elle en révèle les ajustements successifs.

Notre-Dame de Paris : la mémoire avant et après l’incendie

L’incendie de 2019 a donné à ces relevés une importance décisive. Les modèles 3D réalisés avant la catastrophe ont constitué une archive scientifique irremplaçable. Ceux effectués après ont permis de mesurer précisément les déformations causées par le feu et l’effondrement de la charpente.

La superposition des relevés « avant » et « après » a guidé les choix de restauration, notamment pour évaluer l’état des voûtes et des structures fragilisées. La numérisation 3D de Notre-Dame de Paris s’est ainsi imposée comme un outil majeur de conservation — et comme une mémoire de sauvegarde face à la disparition possible du bâti.

De la donnée brute à la médiation culturelle

Reste une difficulté essentielle : rendre ces données lisibles pour le public. Un nuage de points, aussi précis soit-il, peut sembler abstrait. Le projet e-cathédrale s’est donc accompagné d’un important travail de médiation : visites virtuelles, expositions urbaines, interfaces interactives.

Ces dispositifs offrent des points de vue inédits — traverser une façade, observer l’intérieur d’un pilier, comprendre la logique des arcs-boutants — sans jamais remplacer l’expérience physique du monument. La 3D ne se substitue pas à la pierre : elle propose un regard complémentaire, analytique, profondément contemporain.

Un patrimoine projeté dans l’avenir

Face au vieillissement des matériaux, aux risques climatiques et aux catastrophes, la conservation numérique du patrimoine apparaît aujourd’hui comme une nécessité. Elle ne remplace pas l’architecture, mais en prolonge l’existence sous d’autres formes : scientifique, pédagogique, culturelle.

Entrées dans l’ère du scanner, les cathédrales ne perdent rien de leur puissance symbolique. Elles gagnent une profondeur nouvelle : celle d’un patrimoine rendu lisible dans toute sa complexité, entre art, science et mémoire collective.

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